Philip Larkin
La vie avec un trou dedans
traduit de l’anglais par Guy Le Gaufey avec Denis Hirson
La poésie peut s’insinuer en vous sans crier gare. Wordsworth a failli me coûter la vie, une fois. Je descendais l’autoroute M1, un samedi matin ; il y avait cette émission de poésie à la radio, « L’heure des poèmes » ; c’était une belle matinée d’été, soudain quelqu’un s’est mis à lire l’Ode à l’Immortalité, j’en ai eu les yeux brouillés de larmes. Et quand vous conduisez dans la file du milieu à cent kilomètres-heure…
J’aime à croire que je suis plutôt drôle, et j’espère que ça passe dans mon écriture. Mais c’est le malheur qui suscite un poème. Et je pense que la source de ma popularité, si j’en ai une, vient sans doute de ces choses que j’ai écrites sur le malheur – après tout la plupart des gens sont malheureux, non ? Je me suis demandé si les auteurs du nouveau dictionnaire Oxford des citations allaient m’accoler «Ils te niquent, tes père et mère». Je tenais de bonne source qu’on leur avait assuré que c’était mon vers le plus connu, et je ne voudrais pas donner à croire que je n’aimais pas mes parents. En tout cas, ils n’ont pas pris ce vers. La frousse je suppose.
J’aime à croire que je suis plutôt drôle, et j’espère que ça passe dans mon écriture. Mais c’est le malheur qui suscite un poème. Et je pense que la source de ma popularité, si j’en ai une, vient sans doute de ces choses que j’ai écrites sur le malheur – après tout la plupart des gens sont malheureux, non ? Je me suis demandé si les auteurs du nouveau dictionnaire Oxford des citations allaient m’accoler «Ils te niquent, tes père et mère». Je tenais de bonne source qu’on leur avait assuré que c’était mon vers le plus connu, et je ne voudrais pas donner à croire que je n’aimais pas mes parents. En tout cas, ils n’ont pas pris ce vers. La frousse je suppose.
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Poèmes en édition bilingue
16,25 €, 200 p.
précédés de Le principe de plaisir et suivis d'un entretien à l’Observer.
ISBN : 978-2-36280-005-4
Format : 140/205 mm
Parution : 3 novembre 2011
Ebook monolingue VF (9,49 €)
précédés de Le principe de plaisir et suivis d'un entretien à l’Observer.
ISBN : 978-2-36280-005-4
Format : 140/205 mm
Parution : 3 novembre 2011
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|
L'auteur
Philip Larkin a vingt-cinq ans en 1947, au moment de la publication d’Une fille en hiver. Il a publié Jill deux ans auparavant, et se prépare à une vie d’écrivain, en compagnie d’amis d’études comme Kingsley Amis et quelques autres. Mais sa veine romanesque, à sa surprise et son grand déplaisir, va se tarir, et dès les années cinquante, après avoir vainement tenté de boucler un troisième roman, il se tourne exclusivement vers l’écriture poétique, publiant environ tous les dix ans un recueil d’une vingtaine de poèmes.
Il gagne sa vie comme bibliothécaire, d’abord à Belfast, puis à Hull où il fonde la bibliothèque universitaire. Personnage effacé, éloigné des coteries littéraires londoniennes, au fil des ans sa réputation de poète grandit cependant, au point qu’en 1982 on lui propose le poste, hautement apprécié en Angleterre, de « Poet Laureate », poète de la Reine et de la famille royale. Respectueux des traditions, mais effrayé par cette charge mondaine, il décline l’honneur, et meurt peu de temps après, en 1985.
Deux ans après la mort de Larkin, son éditeur Faber & Faber publie les Collected Poems, qui rencontrent un succès foudroyant. Larkin sort en quelques mois de l’ombre où il se tenait depuis quarante ans : les années suivantes voient la publication, d’une biographie détaillée d’abord, puis de l’essentiel de sa correspondance. Ses deux romans sont alors redécouverts et deviennent des classiques des lettres anglaises, constamment réédités depuis. Par un phénomène bien connu dans les lettres, le succès tardif de Larkin ne passe pas la Manche. Philip Larkin reste encore aujourd’hui inconnu des lecteurs français.
Il gagne sa vie comme bibliothécaire, d’abord à Belfast, puis à Hull où il fonde la bibliothèque universitaire. Personnage effacé, éloigné des coteries littéraires londoniennes, au fil des ans sa réputation de poète grandit cependant, au point qu’en 1982 on lui propose le poste, hautement apprécié en Angleterre, de « Poet Laureate », poète de la Reine et de la famille royale. Respectueux des traditions, mais effrayé par cette charge mondaine, il décline l’honneur, et meurt peu de temps après, en 1985.
Deux ans après la mort de Larkin, son éditeur Faber & Faber publie les Collected Poems, qui rencontrent un succès foudroyant. Larkin sort en quelques mois de l’ombre où il se tenait depuis quarante ans : les années suivantes voient la publication, d’une biographie détaillée d’abord, puis de l’essentiel de sa correspondance. Ses deux romans sont alors redécouverts et deviennent des classiques des lettres anglaises, constamment réédités depuis. Par un phénomène bien connu dans les lettres, le succès tardif de Larkin ne passe pas la Manche. Philip Larkin reste encore aujourd’hui inconnu des lecteurs français.
Les traducteurs
Guy Le Gaufey a rencontré la traduction en voulant partager son coup de foudre pour la poésie de Philip Larkin, il y a plus de vingt ans. Depuis, il n’a cessé de traduire, quitte à diriger cette activité vers des textes non littéraires. Il a publié dernièrement, aux éditions Epel, un essai sur la théorie lacanienne du sujet, C’est à quel sujet ? (2009) et une traduction de l’autobiographie de Robin George Collingwood, Toute Histoire est histoire d’une pensée (2010).
Denis Hirson est poète et écrivain de langue anglaise. Il a vécu toute sa jeunesse en Afrique du Sud, puis s’est installé en France en 1975. Il enseigne l’anglais à l’École polytechnique. La plupart de ses livres portent sur la mémoire des années d’apartheid ; certains sont traduits en français : La Maison hors les murs (Autrement, 1988), le recueil de poèmes Jardiner dans le noir (Le Temps qu’il fait, 2007). Il a réalisé une anthologie de poésie : Poèmes d’Afrique du Sud (Actes Sud, 2001).
Denis Hirson est poète et écrivain de langue anglaise. Il a vécu toute sa jeunesse en Afrique du Sud, puis s’est installé en France en 1975. Il enseigne l’anglais à l’École polytechnique. La plupart de ses livres portent sur la mémoire des années d’apartheid ; certains sont traduits en français : La Maison hors les murs (Autrement, 1988), le recueil de poèmes Jardiner dans le noir (Le Temps qu’il fait, 2007). Il a réalisé une anthologie de poésie : Poèmes d’Afrique du Sud (Actes Sud, 2001).
Le traducteur en parle
« Je découvris la poésie de Larkin dans les pages de Time Magazine, qui consacra en 1988 une page entière à célébrer celui qui, dans le monde poétique anglo-saxon, était déjà en passe de devenir l’un des grands. Dans cet article élogieux, je lus notamment la première ligne d’un poème intitulé Church Going : « Une fois assuré qu’il ne se passe rien, j’entre ». Intrigué par cette attitude dont je me sentais proche, je me procurai vite l’ouvrage pour au moins lire la suite. Bousculé par une langue pas toujours facile, je traduisis illico ce poème pour en bien saisir la richesse, et d’emblée sus ce qui m’arrivait : j’étais pris. Depuis, ça ne m’a pas lâché. Je poursuivis fébrilement mon manège, texte à texte, page à page, jusqu’à proposer à l’éditeur Solin la traduction d’un choix de soixante quatre poèmes qu’il accepta de sortir en bilingue sous le titre : Church going (1991). Selon une image souvent usitée aux États-Unis, cela fit autant de bruit qu’une plume de faucon tombant dans le Grand Canyon.
Vingt ans ont passé, et les éditions Thierry Marchaisse ont décidé de relancer l’affaire en publiant conjointement un nouveau recueil des poèmes de Larkin (que je n’ai cessé de retraduire), et l’un des deux uniques romans qu’il écrivit. Face une nouvelle fois à la nécessité d’un choix, j’ai élu ceux des poèmes qui me paraissaient le moins souffrir du passage de langue et avec lesquels je me trouvais, d’une façon ou d’une autre, en résonance.
Inutile de chercher dans ces poèmes je ne sais quel itinéraire spirituel. Larkin se veut créateur d’émotions liées aux situations les plus diverses : comment la vie se traîne dans un hôpital (Le bâtiment), à quoi pourront bien servir les églises quand même l’incroyance aura disparu (Visite d’église à l’encan), le drame du grand âge (Les vieux fous), la permanente proximité de la mort (Aubade), la mort d’un proche (La tondeuse). À chaque fois, l’extrême concision du vers, sa musicalité, son rythme font d’une vision toujours singulière un bonheur de langue, sans crainte aucune de la brutalité (They fuck you up, yout mum and dad... « Ils te niquent, tes père et mère,/ Ils le cherchent pas, mais c’est comme ça ») ni d’une certaine douceur nostalgique (« Ce passé te soutient comme un ciel, et tu t’étends/ Invariablement adorable là,/ Plus petite et plus nette au fil des ans qui passent »), le tout scandé d’un humour qui allie souverainement tendresse et sarcasme.
Dans ses lettres, on reconnaît Larkin au premier coup d’œil. À dix-huit ans, il écrit par exemple à un ami : « J’ai fait hier un petit saut là où les Larkin sont enterrés. Sur une tombe, il y a écrit : ‘En souvenir affectueux de Philip Larkin. En plein cœur de la vie, nous sommes dans la mort.’ Profonde pensée. Suis parti en chancelant, avec l’envie de vomir dans un chapeau mou. » Mais au fil des pages, un Larkin bien plus commun se fait jour : menant une vie étriquée entre deux femmes sans jamais pouvoir s’engager, épouvanté par le traquenard que lui tend, sous couvert d’anonymat, son ami Kingsley Amis de dévoiler les revues pornographiques en sa possession, bref, on peut vite vérifier le jugement de Larkin qu’on trouvera ici à la fin de son entretien à l’Observer : « Je pense que c’est très raisonnable de ne pas laisser les gens savoir à quoi vous ressemblez ». »
Guy Le Gaufey
Vingt ans ont passé, et les éditions Thierry Marchaisse ont décidé de relancer l’affaire en publiant conjointement un nouveau recueil des poèmes de Larkin (que je n’ai cessé de retraduire), et l’un des deux uniques romans qu’il écrivit. Face une nouvelle fois à la nécessité d’un choix, j’ai élu ceux des poèmes qui me paraissaient le moins souffrir du passage de langue et avec lesquels je me trouvais, d’une façon ou d’une autre, en résonance.
Inutile de chercher dans ces poèmes je ne sais quel itinéraire spirituel. Larkin se veut créateur d’émotions liées aux situations les plus diverses : comment la vie se traîne dans un hôpital (Le bâtiment), à quoi pourront bien servir les églises quand même l’incroyance aura disparu (Visite d’église à l’encan), le drame du grand âge (Les vieux fous), la permanente proximité de la mort (Aubade), la mort d’un proche (La tondeuse). À chaque fois, l’extrême concision du vers, sa musicalité, son rythme font d’une vision toujours singulière un bonheur de langue, sans crainte aucune de la brutalité (They fuck you up, yout mum and dad... « Ils te niquent, tes père et mère,/ Ils le cherchent pas, mais c’est comme ça ») ni d’une certaine douceur nostalgique (« Ce passé te soutient comme un ciel, et tu t’étends/ Invariablement adorable là,/ Plus petite et plus nette au fil des ans qui passent »), le tout scandé d’un humour qui allie souverainement tendresse et sarcasme.
Dans ses lettres, on reconnaît Larkin au premier coup d’œil. À dix-huit ans, il écrit par exemple à un ami : « J’ai fait hier un petit saut là où les Larkin sont enterrés. Sur une tombe, il y a écrit : ‘En souvenir affectueux de Philip Larkin. En plein cœur de la vie, nous sommes dans la mort.’ Profonde pensée. Suis parti en chancelant, avec l’envie de vomir dans un chapeau mou. » Mais au fil des pages, un Larkin bien plus commun se fait jour : menant une vie étriquée entre deux femmes sans jamais pouvoir s’engager, épouvanté par le traquenard que lui tend, sous couvert d’anonymat, son ami Kingsley Amis de dévoiler les revues pornographiques en sa possession, bref, on peut vite vérifier le jugement de Larkin qu’on trouvera ici à la fin de son entretien à l’Observer : « Je pense que c’est très raisonnable de ne pas laisser les gens savoir à quoi vous ressemblez ». »
Guy Le Gaufey